La nouvelle crise de régime qui frappe la France offre une occasion unique de tirer parti du dernier progrès des connaissances pour se mettre aux normes de la démocratie. Le simple énoncé des principes de la démocratie, désormais clairement explicités en préambule de la constitution, détermine le rôle de l’État et le bloc moteur du système politique. Un nouveau rouage essentiel complétera l’ensemble, une chambre Haute au sens plein terme, nécessaire tant pour s’assurer que les actes publics seront conformes aux principes fondamentaux et que les dispositions constitutionnelles pourront être complétées si nécessaire et en permanence mises à jour.
A la différence des élus, sélectionnés par les partis pour leurs opinions et leur engagement partisan, les membres de la haute assemblée seront de véritables Sages, étrangers aux débats partisans. Ils seront désignés par des jurys de citoyens pour leur sens du bien commun, attesté par leur parcours antérieur, et leur potentiel d’expertise dans le domaine des sciences morales et politiques. Ils auront la haute main sur le troisième volet du triptyque constitutionnel, la partie vivante et flexible de la loi fondamentale, comprenant toutes les lois organiques, y compris le règlement de l’Assemblée nationale, le mode de nomination des juges, le contrôle des hautes autorités indépendantes, ou encore le détail des règles du jeu applicables aux divers acteurs politiques.
La haute assemblée statuera à la majorité qualifiée, une fois éclairée dans l’exercice de sa mission par les experts d’un domaine très particulier : la problématique de la démocratie. Elle seule pourra enrichir et amender la constitution à la marge. Il ne sera plus possible introduire subrepticement dans la constitution des corps étrangers, des revendications partisanes ou des clichés dans l’air temps portés par des minorités rusées ayant envahi les mass médias et les réseaux sociaux. Elle disposera par ailleurs d’un droit de veto opposable aux lois jugées inacceptables.
Les citoyens étant ainsi à l’abri de foucades toujours possibles d’une chambre unique, soumise à la pression d’évènements à fort contenu émotionnel, une seconde chambre législative ne sera plus nécessaire. La chambre haute veillera dans le même temps à une meilleure répartition des tâches dans la chaîne publique de décision car, plus on s’éloigne du niveau local, plus la qualité de la gouvernance en dépend. Les décideurs publics sortiront renforcés dans leur apanage, la capacité de jugement. Ils s’appuieront toutefois en amont de la prise de décision sur un nouveau maillon de la chaîne, les ingénieurs en démocratie, aptes à identifier l’éventail des solutions possibles aux divers problèmes soulevés, avec leurs coûts et avantages. Les professionnels de l’information auront accès aux mêmes sources pour éclairer les citoyens. Les agents de l’État se concentreront quant à eux sur la mise en œuvre des choix publics.
Nul doute que les Sages seront également capables de désigner la personne ayant toutes qualités requises pour exercer la fonction de chef de l’État. C’est à eux qu’il reviendra de mettre en œuvre une instruction civique à grande échelle, afin que les citoyens, renforcés dans leurs lumières naturelles, soient mieux armés pour résister au déferlement d’idées abstraites et puissent se réconcilier à terme autour de valeurs communes. La société fonctionnera mieux quand les citoyens en connaîtront davantage les règles.
Les Sages se verront également confier le « budget politique de la nation », de sorte que l’on ne puisse plus reprocher aux parlementaires de puiser à leur guise dans le budget de l’État. Le monde politique deviendra plus ouvert à la société civile. Les citoyens contrôleront eux-mêmes les partis et les centres de réflexion politique – qui font encore largement défaut – au moyen de dons fiscalement déductibles, en contrepartie d’informations de première main sur les dossiers.
Le Sénat ayant perdu sa raison d’être, la réforme de l’organisation territoriale deviendra possible et le nombre d’étages administratifs pourrait être ramené de neuf à trois. L’actuel CESE (Conseil économique, social et environnemental), organe qui aurait toute sa place dans un régime corporatiste, libérera ses locaux pour permettre aux ingénieurs en démocratie, sollicités en amont du travail législatif, de procéder à de vastes consultations. Les lobbies, au rang desquels les syndicats de salariés trouveront désormais leur place, ne pourront plus puiser leurs ressources dans le Trésor public.
Des économies considérables proviendront de la réduction du périmètre de l’État, le recours à la force publique devant désormais être davantage justifié. Au-delà du rôle de gardien du droit exercé par la chambre Haute, une juridiction suprême unique s’appuiera sur le préambule de la constitution pour exercer un contrôle de légitimité a posteriori sur les actes publics, les principes fondamentaux pouvant être invoqués dès le premier niveau de juridiction. Nous assisterons à l’éveil d’une France régénérée, dont les pouvoirs publics seront plus explicitement fondés sur la loi de la démocratie.
G.L.