Institut pour la démocratie

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Vers une démocratie planétaire

Nous connaissions déjà le moyen de faire régner la paix dans un Etat. Si l’Europe parvient à s’unir, nous pourrons constater que le modèle démocratique est également extensible au-delà du niveau national. Ce n’est pas tout. Si une union entre Etats peut créer une entité politique à l’échelle d’une aire culturelle, et que leur nombre est limité, cela signifie aussi que l’union possible de ces dernières pourra générer ensuite la paix dans le monde. L’humanité connaîtra alors à l’échelle planétaire le même miracle qui avait déjà fait émerger il y a quelques siècles la démocratie moderne en Europe.
 
Cette grande loi du politique a été mise en lumière par les historiens modernes. C’est l’apparition d’un nombre limité d’Etats nationaux à la fin du Moyen Age qui, en mettant fin à la longue période d’instabilité consécutive à la chute de l’empire romain, a créé l’équilibre des forces propice à la paix sur le plan intérieur. Dans un système de jeu à nombre limité d’acteurs, aucun élément ne peut prétendre imposer son hégémonie sans se heurter à la coalition des autres (Napoléon et Hitler l’ont appris à leur dépend). C’est une série d’erreurs diplomatiques à l’origine de guerres fratricides qui ont ensuite provoqué le déclin de l’Europe. En s’unissant, les Européens mettent fin aux guerres entre eux.
 
L’apparition de Europe sur la scène diplomatique écartera pour commencer le risque d’un nouveau duopole, le pire des scénarios imaginables. Elle nous fera passer plus avant d’un monde multipolaire, instable car incompatible avec le respect de règles communes, à l’ordre oligopolaire qui s’est déjà révélé une première fois si bénéfique à l’histoire de l’humanité. Nous voyons se dessiner ainsi sous nos yeux les premiers linéaments du nouvel ordre mondial en gestation. L’objectif à atteindre étant enfin connu, il ne nous reste plus qu’à favoriser l’avènement à terme de cet heureux présage.
 
Pour cela, il faut d’abord que les Etats de chacune des grandes aires culturelles accèdent au bon système politique. Nous avons des raisons d’être optimistes car les hommes aspirent partout à la démocratie. Mieux encore, les problèmes étant partout identiques, les solutions ont également valeur universelle. Il est devenu possible d’offrir aux nouveaux entrants comme cadeau de bienvenue au club un modèle breveté de constitution démocratique, avec la panoplie complète des outils nécessaires à son implantation. Comme les autocrates souhaitent eux-mêmes laisser un souvenir positif de leur passage, certains pourront même tenter de l’instaurer avant leur départ dans leur intérêt bien compris.
 
Il faudra aussi convaincre les gouvernants des pays dits ou supposés démocratiques de se mettre davantage aux normes. Les pays d’Afrique et d’Amérique latine devront renoncer par exemple au système présidentiel, pour que des partis de gouvernement y enracinent davantage la culture de la démocratie. Quant à la région du Moyen-Orient, la plus troublée, elle se stabilisera quand un Etat palestinien aura vu le jour, ce qui suppose qu’Israël à renonce sans plus attendre au mode scrutin proportionnel.
 
Toutes les pièces du puzzle finiront par trouver leur place. Nous ne savons pas encore si le Maghreb s’y rattachera ou préférera rallier la plaque géopolitique de l’Afrique sud-sahélienne. Même chose pour le Mexique, proche de l’Amérique latine mais capable d’intégrer politiquement l’Amérique du Nord dominée par les Etats-Unis. La carte politique du monde se redessinera par nécessité pour satisfaire à une nouvelle exigence, la primauté des intérêts de la communauté internationale. A l’heure où l’histoire se mondialise, nous ne pouvons plus éluder la question de l’équilibre diplomatique susceptible de servir d’assise naturelle à une entité politique planétaire.
 
L’Asie se scindera sans doute en deux grandes plaques tectoniques, ayant l’Inde et la Chine pour chef de file. Il est fort douteux à cet égard que les arrière-arrière-petits enfants de l’oncle Xi acceptent très longtemps d’être régimentés. L’Eurasie est appelée à faire de même en raison de l’immensité du territoire sibérien. L’Europe fixera ses frontières orientales sur des critères culturels. Quant à la plaque russophone, l’ancien empire tsariste, première entité plurinationale avant la lettre, qui constitue l’élément de plus fragile du nouvel équilibre des forces possible à l’échelle mondiale, elle aurait toute sa place entre l’Europe et la Chine.
 
Vue sous cet angle, la guerre en Ukraine apparaîtra demain comme un avatar dans l’émergence chaotique du nouveau monde en gestation. En attendant que les historiens nous en apprennent davantage sur les erreurs diplomatiques à l’origine de cette nouvelle guerre inattendue, les gouvernants doivent reprendre la main. Pourquoi ne pas tenter de faire sortir du mal un bien ? La dynamique macabre mise en branle de façon involontaire d’un côté, très inappropriée de l’autre, nous a déjà fait entrer dans l’ère nouvelle. Il ne s’agit plus seulement de construire une Europe politique, enfin là, mais d’accélérer le processus de pacification global à venir, supposant de poser les premières fondations du futur ordre planétaire.
 
La difficulté n’est pas sans rappeler la situation de l’Europe à l’époque où Henry Kissinger cherchait en vain son numéro de téléphone. Pour faire face au nouveau défi, les Nations-Unies seraient fondées à prendre acte du fait que, le stade des déclarations en faveur des droits de l’homme étant dépassé, le temps est venu de remplacer l’ancienne Commission éponyme par un World Council for democracy, le moyen de les mettre en œuvre. Cette instance supérieure jouerait un rôle de véritable chambre Haute. L’effet de cliquet ainsi produit interdirait tout retour en arrière et ouvrirait devant les yeux de tous un immense chantier d’avenir.
 
En lui confiant pour commencer le dossier de la guerre en Ukraine, il ne s’agirait pas seulement réunir les délégués des Etats concernés dans une conférence diplomatique, du type de celles ayant ponctué hier l’histoire de l’Europe. Le traité de paix embrasserait l’ensemble des dossiers. A la contribution essentielle de l’Europe politique s’ajouterait idéalement par les intéressés une première ébauche de Fédération Est-Eurasienne, le second pilier à mettre en place pour faciliter l’éclosion localement du nouvel ordre mondial. Les habitants des pays en question, à commencer par les Russes et les Ukrainiens, ne demandent en effet rien d’autre qu’à entrer eux-mêmes dans la modernité.

G.L.