Institut pour la démocratie

Définir la démocratie

L’Institut pour la démocratie s’était fixé pour premier objectif de définir le concept de démocratie. La démarche oblige à dissocier deux niveaux de réalité. Tout d’abord la recherche des principes inhérents à un tel régime, dont l’énoncé définit un ordre juridique supérieur. Leur application appelle la mise en place à un second d’institutions dans l’ordre politique. Les acteurs qui y sont assujettis ne sauraient les modifier, car il s’agit de règles fondamentales de portée universelle supposées transcrire au mieux la loi non écrite de la démocratique. Elle trouve sa source dans la réalité du monde, en particulier la nature humaine. La conformité des institutions au modèle se teste par l’expérience pratique dans le cadre d’un laboratoire, qui n’est rien d’autre que l’histoire de l’humanité, désormais bien documentée.

La création de l’Institut pour la démocratie

Votre serviteur, son fondateur, se devait de chercher d’abord des experts dans le domaine considéré. Le concept n’étant défini nulle part, j’ai demandé qu’on me communique une liste des professeurs d’université susceptibles de m’éclairer sur le sujet. Après leur avoir tous rencontrés, j’ai pris acte du fait qu’un seul vraiment répondu à mes questions, d’une façon si approfondie que j’au estimé avoir trouvé l’homme de la situation. Il s’agissait de Jean Baechler, dont j’ai suivi ensuite le séminaire à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. J’avais trouvé mon parrain potentiel. Il se révèlera être jusqu’à la fin de ses jours mon meilleur soutien moral et intellectuel.

J’ai recherché dans le même temps un soutien politique. Comme l’idée de créer cet institut m’étant venu du sentiment que le régime français n’était pas vraiment démocratique, qu’il me semblait que le roi avait été remplacé par un monarque républicain, qui n’ayant de comptes à rendre qu’au bout de sept ans, situation que j’estimais être la cause du résultat des élections de 1981, je ne devais pas être le seul à penser ainsi. J’appris alors que l’un des auteurs de la constitution n’était pas d’un avis très différent sur le sujet. Il s’agissait du Garde des Sceaux sous le général de Gaulle, qui était à l’époque le président de de la Commission des Lois à l’Assemblée. Jean Foyer allait bientôt devenir mon parrain politique. 

Il ne me restait plus qu’à trouver un parrain financier. Il se trouve qu’au même moment, Yvon Gattaz, que j’avais aidé à créer le mouvement patronal qui l’a conduit finalement à la tête du patronat français, venait d’arriver à ses fins. Pris sous l’aile de l’Institut de l’entreprise, centre de réflexion dans sa dépendance, le projet dont j’étais personnellement porteur depuis 1982 trouva un écho favorable auprès de deux personnalités, un leader patronal sortant, Alain Chevalier, président d’LMVH, et de Michel Giraud, président de la Région Ile de France. Un prestigieux tour de table permit ainsi la création l’Institut du citoyen, qui donnera naissance quelques années plus tard à l’Institut pour la démocratie.

La seconde opération fut portée sur les fonts baptismaux lors d’’une réunion publique qui fit salle comble dans la grande salle de l’Assemblée nationale sur le thème du rôle présidentiel. Jean Foyer avait entraîné à la tribune Michel Debré lui-même, considéré comme le père de la constitution. Quelques années plus tard, le principal mécène du projet initial ayant changé d’activité, n’étant pas moi-même un homme du sérail, ni un universitaire, je n’ai pas trouvé de soutien financier auprès de la puissance publique pour poursuivre cette activité. Toujours installé 106 rue de l’Université au cœur du quartier politique, je suis devenu mon propre mécène en créant une activité de tourisme politique, venue s’ajouter à ma vocation de chercheur en ingénierie démocratique et de constitutionnaliste au bout du compte.

Il ne faudra quelques années pour définir le concept de démocratie dans toute sa rationalité et de manière accessible au grand public en partant de l’œuvre monumentale de Jean Baechler. Je reçus le renfort de Bernard Owen, le chercheur le plus savant en matière de systèmes électoraux, quand je pris conscience du rôle déterminant du mode de scrutin, ignoré des constitutionnalistes traditionnels. Pendant les années où j’ai sillonné le monde entier à la découverte des différents parlements, ayant bénéficié au passage de la clientèle des anciens députés, j’ai affermi mes convictions sur la nature du bon régime. Pour illustrer l’intérêt de cette formation sur le terrain, c’est à l’occasion d’une visite à Taïwan et en Corée du Sud que j’ai constaté tous les effets pervers de notre propre constitution, où elle a servi de modèle.

J’ai pu vérifier ainsi l’existence de règles simples, relevant du bon sens une fois que l’on a fait le tour de la question, et qui finiront par faire de loi un « docteur en démocratie ». Une nouvelle catégorie de constitutionnaliste est donc venue s’ajouter à celle des professeurs de public, les experts des constitutions en vigueur dans les différents pays, devenus de piliers d’universités de droit et fort utiles aux gouvernants, qui ont besoin de connaître les limites de leurs prérogatives ; et aux politologues aptes à comparer les avantages comparés de la variété des institutions observées dans les divers régimes, auxquels il manquait encore un mètre-étalon pour apprécier leur conformité au modèle démocratique.

L’idéal démocratique n’est donc pas en cause, ce sont lesdits régimes démocratiques contemporains qui en respectent mal les règles, pour la raison simple qu’elles n’étaient pas encore connues, faute d’avoir été identifiées plus tôt. Les lois du politique ne s’inventent pas, elles se découvrent comme les lois de la physique avec l’aide de la raison à partir de l’observation du réel, en l’occurrence l’histoire de l’humanité enfin connue. Aucun pays n’a trouvé les clefs de la démocratie dans son berceau.

Définir le modèle démocratique

Deux voies peuvent être empruntées pour y parvenir. La première est la méthode dite scientifique, qui consiste à partir d’hypothèses plausibles et à vérifier leur validité. Les tests s’appliquent en l’occurrence à des populations civiles, qui peuvent en subir des dommages. La seconde méthode est celle des philosophes politiques, fondée sur la raison pure et le raisonnement logique. La démonstration part d’une évidence première et parvient à une conclusion au terme de déductions successives. La méthode n’est pas non plus sans risque, car il est très difficile de raisonner juste à un haut niveau d’abstraction. Si le raisonnement est défectueux, il se répandra d’autant plus vite qu’il aura une connotation démagogique, au risque de déclencher une pandémie idéologique comme il a été constaté au XXe siècle.  

La méthode déductive

Le concept de démocratie se définit d’abord par la logique, voie qui a été suivie par Jean Baechler. Son raisonnement peut se résumer ainsi. Les hommes sont la seule espèce de la vie animale dont le comportement n’est pas fixé par la nature. Ils doivent donc trouver le moyen de vivre ensemble, malgré leur nature conflictuelle et même grégaire. Ils y parviennent grâce aux facultés dont la nature les a gratifiés : le langage et la raison. Ils renoncent à la violence et confient le monopole de cet usage à une autorité supérieure. L’Etat remplit alors sa mission au moyen d’un adjuvent magique, le droit, au sens premier de « ce qui est juste ».

Le mode opératoire de l’Etat étant la contrainte, il en use quand c’est nécessaire. A quoi bon user de la coercition si elle n’a pas lieu d’être ? La décision se prend à la majorité, faute de pouvoir faire autrement. Les citoyens bâtissent à cet effet une sphère publique, nécessaire pour gérer les problèmes impossibles à résoudre dans la sphère privée. Il en résulte que le premier critère auquel se reconnaît un régime démocratique n’est pas, comme on le croit souvent, l’élection des gouvernants – elle existait déjà à Rome – mais l’existence d’une claire distinction entre les deux sphères. Le tracé de la frontière entre elles se pose chaque fois qu’un problème politique se pose et avant même que la solution puisse être trouvée si nécessaire. C’est pourquoi l’autre trait distinctif du bon régime réside dans sa capacité à dégager une majorité sur la place publique.

C’est le système électoral qui produira ce résultat. Il résulte d’une loi mathématique cette fois, selon laquelle seuls deux partis peuvent concourir durablement à la conquête de la majorité des suffrages. On découvre ainsi qu’il existe un mode de scrutin consubstantiel à la démocratie : le système majoritaire à un tour. Deux grandes forces politiques voient alors le jour, l’une symbolisant l’aspiration aux libertés, l’autre l’aspiration à l’égalité, si elle ne porte pas atteinte aux libertés. Cette bipolarité a le grand mérite de déterminer d’emblée le niveau optimum d’Etat dont la société a besoin, si chaque camp remplit bien sa fonction.

Ce rôle de curseur a trois autres avantages. Les partis de gouvernement sont modérés car, pour l’emporter, ils doivent conquérir les voix du centre. Par ailleurs, les ennemis de la démocratie, les partisans du Tout-Etat, situés à l’extrême-gauche de l’échiquier électoral, sont écartés du paysage électoral. Enfin, le titulaire du pouvoir exécutif, placé sous le contrôle des délégués de la majorité, sera remplacé s’il s’éloigne de la ligne fixée par la majorité issue des urnes. Le pouvoir exécutif ne s’enracine donc pas dans une personne, mais dans une majorité. Il sera dissocié du chef de l’Etat, le représentant l’ensemble de la population et le garant au bon fonctionnement des institutions, qui ne saurait dépendre d’élections

La démocratie se définit ainsi comme le régime politique dans lequel la décision de recourir à la force publique, le moyen d’action de l’Etat, se prend à la majorité sur le fondement d’arguments valides. Les citoyens demeurent ainsi maîtres de leurs choix pour toutes les affaires qu’ils peuvent gérer par eux-mêmes. La sphère privée constitue le domaine de la « démocratie directe » en quelque sorte, où la souveraineté de tout un chacun s’exerce sans besoin de médiations comme dans la sphère publique. Les grands principes du régime se résument dans une Déclaration des libertés et des devoirs du citoyen, placée en préambule de la constitution, le contrat politique du citoyen (1). 

La méthode inductive

Le modèle démocratique se découvre également par la méthode inductive. Elle consiste à partir d’un cas singulier pour en tirer une généralité. L’observateur induit alors la théorie d’une pratique dont il est le témoin, cheminement que je me suis trouvé devoir emprunter moi-même par le hasard de mes activités. Jeune politologue, j’étais le responsable des études et de la documentation dans le parti du Président de la République. Lors du scrutin présidentiel de 1981, j’ai assisté à un évènement inattendu, l’élection d’un homme de gauche dans un pays qui dérivait vers la droite. Soucieux de comprendre cette anomalie, je ne pouvais comprendre qu’en me reportant à un modèle référence qui n’était pas encore disponible. Il me faudra le découvrir par mes propres moyens. 

Je ne partais pas les mains vides. J’avais déjà observé l’évolution du régime français, qui avait réalisé un progrès significatif grâce à l’adoption en 1958 d’un scrutin majoritaire, générateur de stabilité, en contraste avec l’expérience antérieure (104 gouvernements en 69 ans sous la IIIe République et 12 en 25 ans sous la IVe). L’élection du chef de l’Etat au suffrage universel en 1962 constituait à l’inverse une régression manifeste, car le Président pourrait bientôt gouverner à sa guise, sans se soucier de la majorité parlementaire. S’il conduisait une politique personnelle, il prenait toutefois le risque d’être désavoué au scrutin présidentiel suivant. S’il était battu, son concurrent pourrait dissoudre l’Assemblée et tenter de retourner la majorité parlementaire pour gouverner à son tour, car le rôle du Président de la République avait changé. 

Tel était bien l’origine de l’imbroglio. Deux changements étaient intervenus : le système électoral et le mode de désignation du chef de l’exécutif. Le croisement des deux variables donnant quatre types de régime différents (cf. le tableau en annexe), on pouvait présumer une performance croissante des régimes en question en passant de la combinaison régime présidentiel / représentation proportionnelle à la combinaison régime parlementaire / scrutin majoritaire, le modèle de Westminster. Pour m’en assurer, il me faudra examiner le cas des pays d’Amérique latine, situés dans la case a priori la plus critique du tableau. Les enseignements que j’allais en tirer après un grand tour de l’Amérique latine, donneront lieu à une publication (2), dont les enseignements seront corroborés par les expériences plus récentes.

Les effets du présidentialisme

Je trouvais d’abord une explication au caudillisme. Il relevait moins du prétendu tempérament local que de choix institutionnels liés à l’histoire et à la géographie. Les pays d’Amérique latine, lors de leur indépendance, avaient opté par mimétisme pour le système présidentiel, le modèle du grand frère nord-américain ; puis importé d’Europe le mode de scrutin  proportionne pour l’élection des députés, d’apparence plus juste et qui convenait au multipartisme déjà induit par le nombre élevé de candidats au scrutin présidentiel. 

Il en avait résulté une pratique cocasse. L’assise électorale des Présidents étant fragile, il était tentant pour des candidats à la fonction de s’investir dans l’armée, dans le secret espoir de prendre d’assaut un jour le palais présidentiel pour occuper physiquement le fauteuil du monarque – parfois même sans verser une goutte de sang. La Bolivie battait les records du genre. Depuis son indépendance en 1825, le pays avait connu 168 coups d’Etat et 147 Présidents, dont certains ne régnèrent que quelques heures, avec un record de durée de dix ans pour deux d’entre eux. A l’autre extrême, au Paraguay, un président allait régner 42 ans, son parti ayant su quadriller le pays et pousser des tentacules jusqu’au niveau local. 

Une parade consistait à interdire le renouvellement du mandat présidentiel, mais il était facile de supprimer la clause en arrivant au pouvoir. Elle avait survécu au Mexique et donné naissance à une autre pratique, la prise du pouvoir par le parti du Président, en l’occurrence le P.R.I. Il suffisait de changer de candidat à chaque scrutin, tout en choisissant de préférence le moins doué parmi la liste des prétendants, afin de conserver le maximum de pouvoir au sein du parti lui-même. Depuis l’époque où j’ai mené mon enquête, les mœurs se sont assagies, mais les systèmes politiques ont conservé en Amérique latine leurs tares originelles. 

A l’heure de la décolonisation, la pratique sud-américaine a traversé l’Atlantique et fait des émules surtout en Afrique francophone. La fonction présidentielle était le sésame ouvrant grand la porte des sommets africains du palais de l’Elysée. La constitution française y sera exportée en nombre, le régime semi-présidentiel provoquant des luttes parfois sanglantes entre le camp du Président et celui du Premier ministre, faisant basculer le régime sur sa pente présidentielle. En cas de score serré, on assistera à une contestation systématique des résultats, qu’elle soit ou non justifiée (en régime parlementaire, un contentieux électoral relève de l’échelon local). Le régime présidentiel allait y constituer un frein majeur au développement, les pays africains représentant toujours le gros du peloton de queue des pays en mal de démocratie.

L’importance méconnue du système électoral

La représentation proportionnelle aggrave encore le système politique, en exacerbant les divisions et l’émergence de partis ethniques (alors que le scrutin majoritaire oblige les membres d’une même ethnie à se diviser localement sur des lignes politiques). Le choix opéré par l’Afrique du Sud a ainsi donné naissance en 1994 à une forme de parti quasi unique, l’A.N.C., propice à la concussion et aux dérèglements de l’économie. Si l’on s’interroge sur les échecs de la transition vers la démocratie au cours de cette période, elle a presque toujours été imputable au système électoral. Ces évènements ont coïncidé, ce qui n’est pas un hasard non plus, avec l’apparition de cellules de conseil financées par le gouvernement américain, mais confiées à des universitaires favorables à la proportionnelle, alors même que le système politique fonctionne aux Etats-Unis grâce au bipartisme, dû au mode de scrutin majoritaire. 

Cette influence allait également s’exercer dans les pays d’Europe centrale et orientale après la chute du mur de Berlin. La combinaison de proportionnelle avec l’élection de chef de l’Etat au suffrage universel génère des régimes parlementaires faibles, alors que l’inverse aurait été souhaitable pour faciliter le passage à l’économie de marché. L’Ukraine en sera l’une des victimes (3). Si le pays avait disposé d’un vrai régime parlementaire, les pro-russes et les pro-occidentaux, concentrés géographiquement, se seraient divisés sur des lignes intérieures, au lieu de quoi le scrutin présidentiel a forcé le choix des électeurs entre un candidat soutenu par le Kremlin et un autre par l’Occident, situation porteuse d’un risque de partition territoriale.

L’image de la démocratie en sera durablement écornée dans toute la région. Ce choix quasi unanime des nouvelles démocraties européennes allait être exploité par les mêmes conseillers pour convaincre la Tunisie de faire le même choix, la cause première de l’échec du « printemps arabe ». Les mêmes effets seront plus désastreux encore en Irak et en Afghanistan. Pour couronner le tout, il ne manquait plus qu’Israël persiste dans son entêtement sur le sujet. Nous savions déjà que le problème palestinien ne se résoudrait pas aussi longtemps que les Israéliens auraient besoin de l’appoint de factions radicales pour constituer leur gouvernement (4). Le phénomène s’étant poursuivi au cours de la dernière décennie, de façon même caricaturale, les évènements récents étaient prévisibles.

Ce n’était pas la première fois que la population juive était victime dans son histoire d’un mécanisme électoral d’apparence anodine. Un professeur allemand réfugié aux Etats-Unis pendant la dernière guerre avait déjà alerté la communauté scientifique internationale des dangers de la proportionnelle. Les fondateurs d’Israël ignoraient que la Shoah n’aurait jamais existé si Hitler, après son coup d’Etat manqué et son séjour en prison, n’avait pas profité de ce mode de scrutin pour s’élever subitement du statut de repris de justice au rang de personnalité auréolée de l’onction populaire, même s’il avait réalisé un score minable.

Mussolini avait déjà usé du même stratagème. Pire encore, c’est l’entrée sur la scène politique madrilène aux élections de 1933 de factions radicales soutenues aux deux extrêmes par des puissances étrangères, qui, en rendant les chefs des partis modérés incapables de gérer la situation, déclencha la guerre civile de 1936. Comble du paradoxe, le principe de la proportionnelle a été inscrit en 1978 dans la nouvelle constitution espagnole, dont la rédaction avait été confiée aux chefs de parti, comme c’est devenu la coutume maléfique. L’Espagne est redevenue un pays quasi ingouvernable, un mal en train de gagner toute l’Europe.

Les Belges et les Hollandais avaient l’habitude d’être sans gouvernement pendant un an après les élections. Depuis que les eurodéputés sont élus eux aussi à la proportionnelle pour la même raison, des mouvements de protestation et des partis à cause unique ont fleuri dans toute l’Europe. Le Royaume-Uni lui-même a été déstabilisé, car c’est l’entrée en scène d’un parti eurosceptique parvenu en tête au scrutin européen de 2014 qui ouvrira la voie au Brexit deux ans plus tard. Nous en sommes arrivés au stade où les Européens ne savent plus, quand ils mettent un bulletin dans l’urne, quel sera l’effet de leur vote. Le bipartisme, qui commençait à se répandre dans les grands pays européens des années 1970, un signe de maturité politique, a volé en éclat. Partout la démocratie a régressé sous le même effet.

La découverte du modèle démocratique par la voie expérimentale conduit aux mêmes conclusions que le raisonnement logique, ce qui est rassurant sur le plan intellectuel, mais aussi éthique, car la nature du bon régime entre en résonnance parfaite avec le sens moral de tout un chacun. On en tire une loi du politique, l’un des secrets les mieux gardés de la science politique : le système électoral est l’élément le plus important de la constitution, alors même qu’il n’y figure généralement pas – ou alors, ce n’est pas le bon. La proportionnelle, qui empêche l’émergence d’une authentique majorité, génère des majorités artificielles forgées par des chefs de faction aux buts divergents et revendications minoritaires. L’ajout d’un scrutin présidentiel achève de renforcer l’accordéon électoral et la cacophonie politique.

Il reste à savoir comment faire pour que les élus et la population soient affranchis sur ce sujet méconnu et que ce soit plus aux acteurs politiques de fixer eux-mêmes les règles du jeu politique. C’est parler de la démocratie à venir, qui devrait finir par s’imposer par la force des choses, tant au niveau national que bien au-delà.

  • Guy Lardeyret, Réinitialiser la démocratie, Revue Politique et Parlementaire, Paris, Juin-Août 2022Le lecteur y trouvera un exemple de préambule résumant les principes de la démocratie.
  • Cf. Guy Lardeyret, Constitutions et mode de scrutin : les leçons de l’expérience, Les Cahiers de la Démocratie, Paris, n°1, Hiver 1992-1993
  • Cf. Guy Lardeyret Як вийти з криз, Украïнська правда, Comment sortir de la crise ? La Pravda ukrainienne, Kiev, 11 janvier 2010.
  • Cf. Guy Lardeyret, The problem with P.R., Journal of Democracy, Washington, Summer 1991. 
  • Voir l’audit démocratique du système politique français réalisé il y a déjà plus de douze ans. Cf. Relever la France, les dix remèdes, Guy Lardeyret, Institut pour la démocratie, 2011. Pour une version abrégée, cf. Démocrates, levez-vousune occasion unique, Ed. L’Harmattan, 2017. Rééditée en 2019.