![](https://institutpourlademocratie.com/wp-content/uploads/2025/01/Jean-Baechler.jpg)
Jean Baechler, né à Thionville en 1937 et décédé à Draveil en août 2022, est un philosophe politique dans la tradition des grands classiques, Aristote, Locke, Montesquieu et Tocqueville. Professeur émérite de sociologie historique à la Sorbonne, membre de l’Académie des sciences morales et politique de l’Institut de France, il est le disciple le plus éminent de Raymond Aron. Son œuvre considérable, qui compte une quarantaine d’ouvrages de rigueur scientifique, rédigés dans un langue de qualité littéraire encore inconnue à ce niveau d’abstraction.
Après une thèse sur Les suicides, la nouvelle référence depuis Durkheim, Jean Baechler, agrégé d’histoire, a bâti au fil des ans une théorie générale des régimes politiques, et plus avant de la démocratie elle-même. Prenant l’histoire de l’humanité dès le paléolithique comme un laboratoire, il confronte les faits fournis par l’ethnographie, l’anthropologie et l’historiographie aux hypothèses les plus rationnelles, pulvérisant nombre d’idées reçues. Ses premiers travaux sont résumés dans une œuvre maîtresse (Démocraties, Callman-Lévy, 1984) dans laquelle, procédant à la façon de Mendeleïev pour qu’aucun élément ne lui échappe, il classifie les régimes politiques en espèces dans une quête de discriminants qui l’oblige, quand les outils sont défaillants, à créer des mots et en faire de nouveaux concepts.
Dans son Essai sur les origines sur le capitalisme (Gallimard, coll. Idées) Jean Baechler démontre pourquoi c’est bien le politique qui détermine l’économique, non l’inverse, et prend ainsi à contrepied des références classiques dans les milieux intellectuels (Marx et Saint-Simon). Parmi ses autres ouvrages les plus marquants, il convient de citer : Qu’est-ce que l’idéologie ? (Gallimard, 1971) Le Pouvoir pur (Calmann-Lévy, 1978), Esquisse d’une histoire universelle (Fayard, 2002), Précis de philosophie politique (Hermann, 2014), où il concentre réunies les clés qu’il propose pour décrypter les fondations communes à la science, à la sociologie, à la philosophie et à l’histoire politique. Dans son Précis de la démocratie, rédigé en 1993 à la demande de l’Unesco, il prouve dans un raisonnement continu de 140 pages, denses et profondes, pourquoi la démocratie est le régime naturel à l’espèce humaine, dont on peut déduire le modèle pur et parfait. La justice apparaît ici comme la valeur centrale, car elle est le moyen par lequel la paix est rendue possible, la fin première et dernière du politique. Seules des règles justes peuvent engendrer des démocraties bien conformées.
Il faut regretter que cette œuvre monumentale, qui fera date dans l’histoire des idées, n’ait pas encore été traduite en langue anglaise, un frein manifeste aux avancées du savoir contemporain. L’un des rares grands intellectuels de notre époque s’est éteint dans l’indifférence générale et dans l’ignorance même de ses propres compatriotes, ce qui en dit long sur notre prétendue société de l’information. G.L.