Institut pour la démocratie

Vers une démocratie planétaire

Nous sommes entrés depuis la chute du mur de Berlin dans un monde multipolaire propice aux conflits, car il est difficile d’y faire respecter des règles. Nous ne connaissons pas encore la forme de l’ordre mondial souhaitable, mais nous pouvons en revanche l’imaginer. Si nous voulons instaurer la paix à l’échelle mondiale, alors que savons déjà l’atteindre au niveau d’un État grâce au modèle démocratique, extensible sans limites et alors que les hommes y aspirent partout, il suffit de savoir l’étendre à l’échelle globale.

L’histoire nous a déjà livré la solution sans que nous le sachions. La démocratie moderne, qui n’a pas de lien avec la Grèce antique, a surgi au terme d’une lente évolution du droit après l’apparition à la fin du Moyen Age d’un nombre limité d’États. En mettant fin à la dispersion du pouvoir politique consécutive à la chute de l’empire romain, ils ont constitué un équilibre diplomatique qui a empêché l’émergence d’un empire européen et produit l’effet bénéfique constaté. Une loi du politique s’est faite jour. Un système de jeu entre cinq et dix acteurs est stable, car aucun élément ne peut prétendre imposer son hégémonie sans se heurter à coalition des autres (Napoléon et Hitler en ont fait l’expérience).

Comme la planète comprend un nombre limité de grandes aires culturelles, entre sept et dix, il suffirait qu’elles mutent à terme en autant de plaques tectoniques géopolitiques pour que puisse se reconstituer le même phénomène à quelques siècles de distance et cette fois à l’échelle planétaire. La bonne direction a déjà été prise. L’Europe a ouvert la voie de l’agrégation volontaire entre États dans une première aire culturelle. Le moteur de l’histoire a déjà changé. Nous entrons dans une ère nouvelle où l’extension des espaces pacifiés ne se fera plus par annexions et conquêtes militaires.

Il reste à savoir comment accélérer le mouvement. L’Europe politique, dont Kissinger réclamait le numéro de téléphone il y a déjà un demi-siècle, aurait pu sauter le pas plus tôt, prétendre se placer sur un pied d’égalité avec les Etats-Unis après la chute du mur de Berlin. La Russie ne représentait plus une menace, l’Otan avait perdu sa raison d’être et le nouveau chef du Kremlin, pro-occidental, très apprécié par les diplomates occidentaux en poste en Russie, ne demandait que cela. L’Europe aurait alors fermé ses frontières orientales sur des critères culturels. A la différence de la Pologne et des États baltes, l’empire tsariste, comme l’empire ottoman, n’avaient jamais fait partie de l’Europe. Le conflit en Ukraine aurait peut-être été évité.

Les évènements ont tourné autrement. L’idée de rattacher le berceau historique de la Russie à l’Europe a surgi semble-t-il d’Amérique sous l’influence de descendants de familles originaires de pays limitrophes. Les futurs historiens nous en apprendront davantage. Ce conflit inattendu apparaîtra sans doute demain comme un avatar dans l’émergence chaotique du nouveau monde en gestation. Comme le différend porte sur la frontière entre deux grandes aires culturelles, il n’a pas d’issue militaire possible. En révélant toutefois le problème sous-jacent, le règlement du conflit pourrait, une fois la reconstruction de l’Ukraine amorcée, faire sortir du mal un bien. La question de fond sera devenue d’actualité.

Elle pourrait même donner lieu à une grande conférence diplomatique à l’image des congrès ayant ponctué l’histoire de l’Europe. Un équilibre des forces entre les grandes plaques culturelles, une fois pacifiées par le droit, constituerait l’assise naturelle d’une démocratie planétaire. Toutes les pièces du puzzle y trouveront leur place. L’espace russophone, dès lors qu’il serait capable d’entrer dans la modernité sous la forme d’une Fédération Est-Eurasienne, trouvera toute sa place entre l’Europe et la Chine. Quant au régime chinois, il évoluera. Il est douteux que les arrière-arrière-petits-enfants de l’Oncle Xi acceptent encore d’être régimentés. Nous voyons déjà se dessiner sous nos yeux l’ordre mondial souhaitable.

Il reste à savoir comment hâter la dynamique. La communauté internationale n’est pas démunie, car l’ONU la représente dignement. Nous avons dépassé le stade de la déclaration des droits de l’homme de 1945, car savons désormais comment les convertir en droits du citoyen, par la magie d’une forme de gouvernement qui n’a plus de secrets. Les problèmes étant partout les mêmes, les solutions ont également valeur universelle. Les principes qu’il convient de mettre en œuvre pour y parvenir étant désormais connus, des citoyens éminents, aptes à se faire les porte-parole du domaine du savoir, sont mieux placés que les États eux-mêmes pour poser les premières pierres du futur ordre mondial.

La création d’une chambre Haute des Nations-Unies, tout en faisant réaliser l’économie d’un grand nombre de commissions obscures, pourrait se dénommer World Council for Democracy. Elle recevrait pour mission de définir la stratégie et les moyens de mettre fin aux guerres dans le monde. La boîte à outil complète des moyens d’instaurer le bon régime sera à la disposition de tous les chefs d’État, y compris des autocrates qui aimeraient bien laisser eux aussi un bon souvenir de leur passage. Viendra ensuite le moment de l’éclosion des entités plurinationales.

G.L.