C’est là que le bât blesse car le mot démocratie, aujourd’hui sur toutes les lèvres, n’est défini nulle part. Nous avons donc peu de chances de voir clair sur le sujet sans commencer par combler cette lacune. Prétendre comme certains que le concept de démocratie est indéfinissable laisse sceptique, car ils sont les premiers à l’employer. Ils font implicitement référence à un idéal politique qui a toutes les chances d’exister, car si l’on admet l’existence des droits de l’homme, on voit mal comment ils ne seraient pas convertibles en droits du citoyen. Un tel régime se définit alors par des principes, appelant des institutions à mettre en œuvre.
Si ces règles du jeu politiques découlent de la nature des choses, elles ne s’inventent pas. Elles se découvrent comme les lois de la physique de l’observation du réel avec l’aide de la raison. Elles s’énonceront ensuite dans le préambule d’une constitution. Le rôle de l’Etat se trouve alors défini et les gouvernants y sont assujettis. Ils ne pourront invoquer une prétendue volonté populaire pour alléguer l’existence d’un droit supérieur. « Donner la parole au Peuple » pour légitimer toute action relève d’une conception fautive de la démocratie, qui conduit à la dérive populiste à laquelle nous assistons aujourd’hui. Il est temps de considérer que les principes de la démocratie, forts de leur portée universelle, ont une réalité indépendante et font désormais partie du domaine du savoir.
Pour les mettre pleinement en lumière, il était difficile de faire l’économie d’un Institut pour la démocratie. Il devait commencer par définir le concept de démocratie et identifier les institutions qui lui sont conformes. Il fallait partir des travaux déjà réalisés par les savants. Aristote avait ouvert la voie dans l’Antiquité en analysant les quelque 170 constitutions de son temps. Il fallait néanmoins attendre que l’histoire de l’humanité soit connue et bien documentée pour qu’un académicien français parvienne enfin à faire le tour de la question. Il ne restait plus qu’à établir le lien entre l’œuvre monumentale de Jean Baechler et les pratiques politiques observées, autrement dit à tirer le fil d’Ariane conduisant en toute logique à une théorie générale de la démocratie.
Nous savions déjà mesurer le niveau des libertés dans un pays, sa performance en termes de démocratie, nous disposons maintenant de la boîte à outils complète des instruments aptes à leur donner pleinement corps. Un pays comme la France sait désormais ce qu’il lui reste à faire pour se doter de meilleures institutions. Les bénéfices ne s’arrêtent pas là. Une instruction civique à grande échelle devient possible. Une société fonctionne mieux en effet quand les citoyens en connaissent les règles, a fortiori si leur complexité peut leur faire perdre leurs repères. Ce n’est pas tout. Depuis que le contenu souhaitable d’une constitution est connu, des docteurs en démocratie peuvent réaliser un audit démocratique de tout pays présumé tel. Les pays en crise vont pouvoir progresser sur le plan politique.
Ces avancées du savoir ont ainsi donné naissance à une discipline nouvelle, l’ingénierie démocratique, ajoutant une étape précieuse à mi-chemin de la prise de décision. En s’appuyant sur des ingénieurs en démocratie, les élus seront mieux armés demain pour rendre acceptables et plus efficaces les réformes qui s’imposent, pas seulement sur le plan institutionnel. Leur compétence et leur capacité d’innovation serviront également les pays candidats à une union politique. La mécanique enclenchée en vertu du principe fédéral ouvrira la voie, si nous savons l’accompagner, à un mécano géopolitique à plus grande échelle et à l’émergence à terme d’une démocratie planétaire.
Forts de ses premières réalisations, l’Institut pour la démocratie apporte des éléments de réflexion sur les nouveaux défis auxquels nous sommes confrontés. La démocratie n’a pas encore révélé tout son potentiel. Si les hommes savent tirer parti des lois du politique, les règles de la démocratie apparaîtront demain comme le plus beau fleuron des biens immatériels de l’humanité.
G.L.